L'histoire d'un chemin...

Extrait du roman "La pèlerin de Compostelle" de Paolo Coelho

Dans la tradition musulmane, tout fidèle doit effectuer au moins une fois dans sa vie le pèlerinage à La Mecque. De même, le premier millénaire du christianisme a connu trois routes sacrées, qui valaient une série de bénédictions et d'indulgences à quiconque parcourait l'une d'elles. La première menait au tombeau de saint Pierre, à Rome. Son symbole était une croix. On appelait « romées » ou « romieux » ceux qui la parcouraient. La deuxième conduisait au Saint-Sépulcre du Christ, à Jérusalem, et ceux qui la suivaient étaient appelés « paulmiers », car elle avait pour symbole les palmes qui saluèrent le Christ quand il entra dans la ville. Enfin, il existait un troisième chemin — un chemin qui menait jusqu'aux reliques de l'apôtre Jacques, enterrées en un lieu de la péninsule Ibérique où, certain soir, un berger avait vu une étoile briller au-dessus d'un champ. D'après la légende, saint Jacques et la Vierge Marie elle-même passèrent par là après la mort du Christ, portant la parole de l'Évangile et exhortant les populations à se convertir. L'endroit prit le nom de Compostelle — le champ de l'étoile — et bientôt s'éleva une ville qui allait attirer les voyageurs de toute la chrétienté. À ceux qui parcouraient cette troisième route sacrée, on donna le nom de «pèlerins » et ils prirent pour symbole une coquille.

Lors de son âge d'or, au XIVe siècle, plus d'un million de personnes, venues de toute l'Europe, parcouraient chaque année la « Voie lactée » (qui doit son nom au fait que, la nuit, les pèlerins s'orientaient grâce à cette galaxie). De nos jours encore, des mystiques, des religieux et des chercheurs font à pied les sept cents kilomètres qui séparent la cité française de Saint-Jean-Pied-de-Port de la cathédrale de Saint-Jacques-de-Compostelle, en Espagne.

Grâce au prêtre français Aymeri Picaud, qui fit le pèlerinage à Compostelle en 1123, la route suivie aujourd'hui par les pèlerins est identique au chemin qu'ont parcouru, au Moyen Âge, Charlemagne, François d'Assise, Isabelle de Castille et, plus récemment, le pape Jean XXIII — parmi tant d'autres. Picaud écrivit sur son expérience cinq livres, qui furent présentés comme l'oeuvre du pape Calixte II — adepte de saint Jacques —, et connus plus tard sous l'appellation de Codex Calixtinus. Dans le livre V du Codex Calixtinus, Liber Sancti Jacobi Picaud énumère les marques naturelles, les fontaines, les hospices, les abris et les villes qui se trouvent le long du chemin. Se fondant sur les commentaires de Picaud, une société — « Les Amis de saint Jacques » (on traduit Sao Tiago par saint Jacques en français, James en anglais, Giacomo en italien, Jacob en latin) — s'est chargée de conserver jusqu'à nos jours ces marques naturelles et d'orienter les pèlerins.

Vers le XIIe siècle, la nation espagnole commença à tirer profit de la mystique de saint Jacques dans sa lutte contre les Maures, qui avaient envahi la péninsule. Plu-sieurs ordres militaires se développèrent le long du Chemin, et les cendres de l'apôtre devinrent un puissant rempart spirituel pour combattre les musulmans, qui affirmaient avoir de leur côté le bras de Mahomet. Mais la Reconquista achevée, les ordres militaires étaient si puissants qu'ils devinrent une menace pour l'État, ce qui obligea les Rois Catholiques à intervenir pour éviter que ces ordres ne s'insurgent contre la noblesse. Le Chemin tomba alors peu à peu dans l'oubli et, sans quelques manifestations artistiques sporadiques — comme La Voie lactée, de Bunuel, ou Caminante, de Joan Manuel Serrat —, personne aujourd'hui ne se souviendrait que sont passés par là des milliers de gens qui, plus tard, iraient peupler le Nouveau Monde.

Le village où je suis arrivé en voiture était absolument désert. Après avoir beaucoup cherché, j'ai trouvé une petite buvette installée dans une vieille bâtisse de style médiéval. Le propriétaire — qui ne quittait pas des yeux son feuilleton à la télévision — m'a fait remarquer que c'était l'heure de la sieste et que j'étais fou de prendre la route par cette chaleur. J'ai commandé une boisson fraîche, tenté de regarder un peu la télévision, mais je ne parvenais à me concentrer sur rien. Je pensais seulement que dans deux jours j'allais revivre, en plein XXe siècle, un peu de la grande aventure humaine qui avait ramené Ulysse de Troie, accompagné don Quichotte dans la Manche, mené Dante et Orphée aux Enfers et Christophe Colomb jusqu'aux Amériques : l'aventure du voyage vers l'inconnu.

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